19 mars 2018

Consommer éthique 2/3 - L'alimentaire : Interview de David Sutrat, co-fondateur des épiceries Day by Day




Holà !

Aujourd’hui, je viens te parler consommation responsable sur le plan alimentaire. Et plus spécialement, d’un concept en pleine expansion : l’épicerie en vrac. Pour l’occasion, j’ai contacté David, co-fondateur des épiceries en vrac day by day, afin qu’il nous raconte lui-même son projet.


Une présentation du co-fondateur des épiceries en vrac 

David est un homme épanoui. A 50 ans, son parcours professionnel lui a apporté "beaucoup de joie". C’est un mari et père de famille heureux, qui estime être dans une "belle moitié de vie", encore riche de projets à venir. Avant de travailler dans le commerce et le marketing, il a commencé sa vie professionnelle en travaillant auprès de médecins. De cette expérience, David a tiré son désir de "mettre du sens dans ses actions".

Pour lui, se lancer dans un projet implique de garder à l’esprit que le but n’est pas d’avoir une belle maison et un beau salaire, mais plutôt que nos actions peuvent "créer un impact significatif". Se sentir partie de quelque chose qui nous dépasse, nous permet justement de nous dépasser nous-même.

Sa voix est pleine de confiance lorsqu’il parle de notre jeune génération, l’avenir portant en germe de nouveaux projets et de beaux engagements. Il estime essentiel de prendre le temps de nous parler, pour nous faire prendre conscience des luttes que nous devrons mener à notre tour.


Le concept : le retour d'une épicerie traditionnelle mise au goût du jour

day by day, c’est le retour de l’épicerie traditionnelle. Avant le développement de vastes supermarchés existaient de plus petites structures, les épiceries de quartier, où l’on prenait à la pesée les produits du quotidien. Si les supermarchés ont eu leur ère de gloire, leur fréquentation est en baisse depuis 15 ans au profit d’une alimentation plus proche et plus saine.

Le projet day by day propose un mode de consommation alternatif aux grandes surfaces : au lieu d’acheter des denrées en quantité imposées, les épiceries en vrac proposent un catalogue à la demande de 750 produits du quotidien, hors produit frais, et sans emballages, au sein d’un réseau composé de 33 épiceries disséminées en France et à Bruxelles (depuis septembre 2016).

Le consommateur se sert donc en utilisant des contenants qu’il a apportés lui-même, ou en utilisant ceux mis gratuitement à disposition dans certaines épiceries. Sans le moindre minimum d’achat ("avec parfois des tickets à 3 centimes !"), on ne choisit, pèse et paye que ce dont on a vraiment besoin. L’ambition du projet est de permettre aux consommateurs de s’engager rapidement et facilement dans leur choix alimentaire. Il se présente comme une véritable alternative à la surconsommation dans un premier temps, et au sur emballage dans un second temps.


La naissance du projet : la réponse à une demande d'alternative en matière alimentaire

La vie étant faite de hasard et de rencontres, day by day est issu d’un "bon alignement des planètes", que David décrit comme le "time to market" : une bonne idée, accompagnée des bonnes personnes et du bon moment, c’est ainsi qu’est née le concept de l’épicerie en vrac. Un projet qui a germé pendant huit ans dans l’esprit de Didier, "l’artisan" et entrepreneur au sens noble du tandem qui se connaît depuis 20 ans. Associé de David, l’idée du vrac est de lui.
Car si David est "l’architecte" plus pragmatique, Didier, qui avait travaillé comme conseiller dans la grande distribution, a senti une demande émerger comme alternative à la consommation imposée par les supermarchés. Au coeur des tendances de consommation, Didier constate les quantités folles d’aliments gaspillés : à raison de 30 kilos par an et par français, la nourriture perdue pourrait nourrir l’ensemble des populations en sous-nutrition. Face à cette vérité inacceptable, Didier développe une véritable aversion contre la gaspillage alimentaire, qui se révèlera être un moteur du projet.

Aucun des deux fondateurs n’a de passé militant. D’ailleurs, ils ne souhaitent pas s’engager dans la voie du militantisme, mais plutôt de construire quelque chose qui permettra d’unir économie et distribution de manière positive, en s’attachant notamment à limiter au maximum le gaspillage alimentaire.  Fin 2011, le duo commence donc à réfléchir aux moyens de répondre à cette demande. Ils lèvent des fonds, qui sont réunis en 2012. David et Didier n'ont d'ailleurs réalisé aucun emprunt bancaire, partant uniquement de fonds propres : car emprunter à crédit, c'est finir par en devenir dépendant, et le tandem s'y refuse. Très rapidement, Mai 2013 voit l'ouverture du premier magasin-pilote, à Meudon-la-Forêt (92).

Day by Day Reims - Crédit : Sacrées blogueuses

Les lieux d’implantation : vers une internationalisation de l'épicerie de quartier

Avec ses 33 lieux d’implantation, day by day cherche à se rendre accessible et devenir une épicerie de proximité. La création d’une épicerie en vrac est toutefois soumise à plusieurs critères : ainsi, l’implantation se fait nécessaireme
nt dans une ville d’au moins 50 000 habitants. Car si le vrac séduit et que son marché est en expansion exponentielle, il ne représente pour l’instant que moins de 0,3% de la consommation. Les villes dotées d’une bonne densité de population sont une condition sine qua non à la durabilité du projet dans son installation, et sa pérennité sur le plan économique.

Le système se ramifie en franchise : chacun peut envoyer son dossier de candidature pour ouvrir une épicerie dans une ville dotée des critères requis. Avec des 1200 demandes par an, seuls 20 magasins ouvriront après 8 à 9 mois d’accompagnement, de formation et de dossiers administratifs. Les épiciers sont pour la majorité des professionnels en reconversion, n’y connaissant pas forcément grand-chose en agro-alimentaire, mais animé d’une conviction et d'une foi en le projet.

Le succès grandissant des "épiceries en vrac" promet une exportation à l’international dans les années à venir, alors que le marché du vrac a doublé en un an.

Les fournisseurs : nombreux et créatifs

Pour son offre de 750 références, day by day réunit 80 fournisseurs. La vocation du projet est de privilégier une production française aussi souvent que possible, à raison de 63% de produits français actuellement pour un objectif de 70% de "grown (cultivé) in France" en 2018.

Tous les produits ne sont pas français, pour la simple raison que certaines denrées ne sont pas cultivées sur nos sols. Les priorités du projet sont de privilégier le vrac, puis le local, puis le bio. Mais entre un produit non labellisé bio et issu du Cantal, et un producteur bio de Slovénie, David se veut cohérent et choisira bien évidemment la proximité. L'enjeu est de trouver le meilleur produit et les meilleures conditions de production possibles, assimilables au projet "en vrac".

Les débuts du projet ont été difficiles, car l’entreprise doit constituer un catalogue de produits suffisamment conséquent pour être crédible. En 2013, il faut ainsi trouver des producteurs structurés, capables de contribuer au projet et croyant suffisamment en lui pour s’investir. D’où le faible nombre de produits dans la boutique-pilote, 70 seulement : quelques variétés de pâtes et de graines sont alors disponibles. Au fil du temps, le réseau en vrac se développe. Avec ses 750 références actuelles, day by day pèse désormais suffisamment pour que l’un des deux seuls fournisseurs du marché de denrées pour animaux, lui fasse confiance et contracte avec l'entreprise en 2017.

Aujourd'hui, deux membres de l'équipe ont pour mission de dénicher les meilleures références de produits. Les fournisseurs avec lesquels travaille day by day sont créatifs, comme me l'explique David en mentionnant Il était un fruit, enseigne localisée à Montpellier et spécialisée dans la production de fruits déshydratés issus de denrées destinées à l'origine à être jetées, car ne répondant pas aux critères esthétiques des supermarchés (voir le concept des "Fruits et légumes moches").

Dans la mesure du possible, l'entreprise travaille en filière. Aujourd'hui, la Turquie est le grenier de l'Europe, m'apprend David. Le marché alimentaire européen est dominé par les producteurs turcs, dont les prix sont parfois si bas que le marché français ne peut se positionner. C'est le cas du marché de la lentille corail, dont la culture disparait progressivement de nos sols français. Avec day by day, le producteur des lentilles corail qui deviendra leur fournisseur accepte de changer de paradigme : l'entreprise négocie avec lui un prix de revente au consommateur, une marge nécessaire à la pérennité du magasin, une part requise pour payer les salariés de la centrale et enfin, une juste et suffisante somme pour le producteur. Si David précise qu'un tel renversement n'est pas possible pour toutes les denrées, cette réécriture du modèle a marché pour la lentille corail, qui provient désormais, pour les épiceries en vrac, de France.


Le concept Intermarché des fruits et légumes "moches"


Les labels : une réalité plus nuancée qu'il n'y paraît

Parler de bio est l’occasion d’aborder la question des labels. Aujourd’hui, les différents labels AB ou ECOCERT permettent en théorie au consommateur d’être informé sur le mode de culture de son produit. Pour autant, la labellisation est un processus plus nuancé et soumis à des limites sur lesquelles David m’a informée.

Les produits bio ne sont pas exemptés de traitement par pesticide. Simplement, la législation européenne en la matière est plus stricte, et ne tolère que des pesticides issus de produits végétaux.

De plus, les certifications sont payantes : certains fournisseurs travaillant dans des conditions quasi identiques au bio, ne sont pas labellisés de la sorte car l’obtention du label coûterait trop cher pour leur entreprise, et les restreindrait dans leur façon de travailler.

Enfin, le bio est un "relais de croissance de la grande distribution". Sa démocratisation et son essor en ont fait un marché de grande consommation, à raison de 4,4% du marché agro-alimentaire en Europe, soit 7 milliards d’euros sur 156 en tout. Avec une croissance de 16% par an, contre seulement 1,5% pour les produits non bio, il devient difficile de produire bio tout en gardant une production raisonnée.

Ainsi, alors que le greenwashing - faire passer pour éco-responsable ce qui ne l’est en réalité pas - fait déjà polémique, David prédit que le prochain scandale alimentaire sera le bio, avec l’arrivée sur le marché de faux produits bio.

L'accueil du projet par les consommateurs : objections et ouverture

A l'ouverture de la première enseigne, David et Didier ont l'agréable surprise de voir les consommateurs arriver simplement et sans méfiance. Alors que la communication avait été restreinte et loin d'être spectaculaire, les habitants trouvent le concept sympa, les produits bon, les courses faciles et sans prise de tête. Certes, le catalogue est alors peu étoffé, et les achats relèvent de l'appoint plutôt que de courses. Mais le développement du projet a permis de passer de "j'ai oublié le riz" à de véritables habitués, qui se munissent d'une liste de courses intelligemment conçue pour ne prendre que le véritable nécessaire.

Si David précise que les épiceries en vrac ont reçu un accueil simple et positif, certaines objections ont été soulevées par des consommateurs dubitatifs. Les trois plus grandes questions portaient sur l'hygiène, la conservation des produits et l'absence de certaines denrées.

L'hygiène est un point central : day by day est soumis à de stricts protocoles de remplissages et nettoyages des bacs - fermés - contenant les aliments.

En ce qui concerne la conservation des produits, les fondateurs ont dû faire preuve d'inventivité. Car la réglementation européenne INCO sur l'étiquetage des aliments, parue en 2016, semble difficilement applicable à des produits non emballés. day by day développe alors un système informatique permettant d'étiqueter les bacs et de fournir ainsi non seulement les informations obligatoires selon la directive européenne - origine, composition, allergènes et valeur nutritionnelle - mais en plus des éléments complémentaires. Les notions de traçabilité et de transparence sont habilement incorporées au projet en vrac, faisant par la même sauter toutes les objections.

Enfin, le manque de certains produits est comblé par le cercle vertueux de l'élargissement du réseau. La fréquentation des épiceries en vrac rend le projet aussi durable que crédible, permettant à l'entreprise de contracter avec de nouveaux fournisseurs et donc d'élargir son offre.

David est cependant lucide : les produits frais ne peuvent être vendus en vrac, et le concept de vente à la demande est limité par les conditions de vente de certains produits. Ainsi, le jus de fruits en vrac - développé notamment chez Franprix - est difficile à mettre en place car un développement bactérien existe au niveau du robinet. Par ailleurs, le catalogue plafonnera sans doute à 900-1000 produits maximum, pour des raisons pratiques.

David Sutrat (gauche) et David Senne, franchisé ayant ouvert son épicerie à Rennes

Les difficultés du projet : bon emplacement, peu de concurrence 

day by day a bénéficié d'un excellent "time to market", et donc d'une minorité de difficultés. Toutefois, l'implantation d'une épicerie en vrac relève d'une véritable stratégie. Car si le vrac n'a pas vraiment de concurrence, il faut que l'épicerie "prenne" et que le projet s'installe au coeur des villes. L'avantage du 100% vrac est que l'initiative est unique : si quelques enseignes se développent isolément en Europe - Espagne par exemple - le mieux-disant ne dispose que de 250 références contre 750 produits proposés chez day by day. L'entreprise a sa place sur le marché, mais elle doit conquérir les habitants en devenant une habitude.

Le mot de la fin 

Pourquoi choisir le vrac ? Parce qu'il n'est pas réservé aux initiés. Pas de label, pas de sectarisme, les épiceries en vrac sont ouvertes et incarnent une démarche d'invitation. "Venez voir, sentir, découvrir les produits, échanger avec le commerçant", propose David. Faire du développement durable devient simple, tout comme l'est ce passage à un mode de consommation durable.

David invite à laisser parler la curiosité. Car le concept day by day se destine avant tout aux personnes proches du magasin, qui poussent un jour la porte pour en savoir plus. Les épiceries sont développées dans un but simple : rendre l'expérience consommateur aussi riche que plaisante, au milieu d'un environnement sain et propice à la transition vers une alternative plus écologique, plus responsable, plus éthique. Et un habitant du coin qui un jour se laisse séduire par le concept en le trouvant simple, sympa et rapide, c'est une véritable victoire !


Pour aller plus loin...

Le site de la franchise > ici 
Une épicerie en vrac près de chez toi ? > Vérifie ici 


Merci à David pour sa gentillesse !


Et toi, connaissais-tu day by day ?
Le concept te plaît-il ? 
Serais-tu prêt à pousser la porte de l'épicerie en vrac ? 

4 commentaires:

  1. Ah tiens ! Je ne connaissais pas Day by day ! Mais dis-moi, c'est un peu le même concept que Bio c bon non ? :)

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    Réponses
    1. Hello Carotte !
      Je ne connais pas Bio C Bon, mais de ce que je vois c'est davantage axé sur le bio chez eux, tandis que day by day c'est davantage un travail sur la lutte contre les emballages et le gaspillage.

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    2. Pour ma part je ne connaissais que la Biocoop pour le vrac, merci pour la découverte !
      Super article sinon, c'est chouette de prendre le temps de tout expliquer :)
      (Au fait, il ne manquerait pas un mot dans le sous-titre du blog, la citation de Gandhi ?)

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    3. Bien vu la citation ! C'est corrigé ;)

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